Rohars pendant la Révolution
Par Bernard David
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Rohars ravitaille Nantes
Les insurgés et la Loire
Rohars et la troupe
Les réquisitions
Les menées contre-révolutionnaires

En 1789, le village de Rohars comptait près de 60 habitants groupés en une quinzaine de ménages. Parmi eux, quelques employés des fermes du Roi, des précurseurs des douaniers, qui luttaient contre la contrebande, notamment du tabac. Un cabaretier, Julien Legland, et un aubergiste, Sébastien Allory,  permettaient de trouver réconfort ou détente.

Pendant la Révolution, Rohars a été un point de passage fréquenté : à partir de 1793, au sud de la Loire, la Vendée militaire s’étend jusqu’au fleuve tandis que les populations de la rive nord, après une brève période d’insurrection, restent tant bien que mal soumises à la République.

Le rôle de port de Rohars est bien mis en évidence dans une délibération de la municipalité de Bouée de juillet 1790 : elle souhaite la construction d’un chemin depuis le village de la Bouquinais jusqu’à Rohars, arguant que l’on y embarquait les grains du pays pour les conduire à Nantes et que par lui on importait les choses nécessaires. Un vent d’optimisme avait soufflé au début de la Révolution ; on avait cru à une vie meilleure.
Mais les événements ne permirent aucune réalisation. Pire, la situation économique s’aggrava.
 

Les biens ecclésiastiques, confisqués par la Nation, furent mis en vente à partir de 1790. Ceux du prieuré de Rohars, dont la chapelle, furent achetés le 7 avril 1791 par un propriétaire qui habitait à la Bouquinais : Georges-Jean-François Pichot de la Mabilais. Avant la Révolution, il avait été commis de négociant à Nantes. Les dîmes, qui avaient été une autre ressource du prieuré, furent supprimées en 1789 et levées pour la dernière fois en 1790, mais au profit de la Nation.

Pichot, qui avait acheté la chapelle de Rohars comme bien national fut assassiné à la Bouquinais par les Chouans le 13 germinal an IV (2 avril 1796). Peut-être s’était-il refusé à acquitter un impôt contre-révolutionnaire.

Les mesures religieuses de l’Assemblée nationale éloignèrent progressivement de la Révolution la grande majorité de la population rurale de la Loire-Inférieure et des départements voisins. Pour contenir l’agitation des esprits, des troupes furent envoyées dans le pays, dès 1791. En 1792, presque tous les habitants de Bouée furent désarmés, comme ceux de la plupart des communes environnantes. Le 12 mars 1793, une insurrection balaya les administrations républicaines, notamment à Savenay. La ville fut reprise par les troupes républicaines le 5 avril. Par contre, le pays de Retz ne put être soumis.

Pour éviter les communications entre les contre-révolutionnaires des deux rives de la Loire, la surveillance du fleuve était d’une importance stratégique essentielle. Le 14 avril, on fit partir de Nantes quatre chaloupes armées sur l’estuaire "afin d’entretenir la libre navigation, écarter les brigands des deux rives et empêcher le passage qu’ils pourroient tenter".

Le 15 mai, le corps municipal de la commune de Bouée, sur un ordre reçu de Savenay, prenait des mesures pour empêcher qu’aucun étranger ne puisse franchir la Loire sans passeport. Deux commissaires furent désignés, l’un pour Rohars, l’autre pour la Coquerais, village à l’extrémité d’un étier qui connaissait une certaine activité maritime, et chargés de se faire remettre par les bargers, passeurs sur les îles et autres propriétaires de bateaux "leurs appareaux comme avirons, gaffes, bâtons et voilles". Ces ustensiles seraient confiés aux passeurs sur les îles chaque fois qu’ils en auraient besoin, les autres bargers et bateliers ne les obtiendraient que sur un certificat de la municipalité.

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Rohars ravitaille Nantes

Le ravitaillement de la ville de Nantes, confrontée à une vaste zone insurgée, était préoccupant. Son conseil général fit imprimer une affiche destinée "Aux Cultivateurs et Habitants des Campagnes", pour les inciter à livrer leurs grains. Une prime de 5 livres par septier de froment (environ 200 litres) amené à Nantes était prévue.

Bien des laboureurs de Bouée répondirent à cet appel, sans doute parce qu’ils y trouvèrent leur intérêt. De grandes quantités de grains furent embarquées à Rohars. Les archives municipales de Nantes conservent de nombreux certificats établis en septembre 1793 et qui attestent des livraisons de froment "à la grève vis à vis l’islle faideau" ou des ventes "au marché à la halle" ou "à la poterne" ; plusieurs de ces reçus concernent des habitants de Bouée. Par ailleurs, Jean Haugeard et Yves Rebondin achetèrent beaucoup de grains pour le compte de la municipalité de Nantes, tant à Bouée que dans les communes voisines. Jean Haugeard était aubergiste au bourg de Bouée et officier municipal depuis le 1er janvier 1792 ; Yves Rebondin était maréchal taillandier au Désert. Ils livrèrent plusieurs centaines de septiers de blé à Nantes. Leur commission n’était que de 3 ou 5 %, ce qui leur rapporta environ 1000 livres.

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Les insurgés traversent la Loire

A la fin de décembre 1793, les restes de la Grande armée catholique et royale furent écrasés à Savenay. Certains rescapés parvinrent à échapper aux poursuites de l’armée républicaine et à trouver refuge chez des habitants compatissants ou dans la forêt du Gâvre. Pour regagner leur pays, il leur fallait franchir la Loire, très surveillée.
Un habitant de Rohars, Jean Legland, réussit à faire franchir le fleuve à plus de mille fugitifs vendéens.
Jean Legland était un homme jeune, marié depuis 1791. Quarante ans après les faits, il dicta ses souvenirs. Sa Note, si surprenante, ne peut qu’être citée in extenso, avant tout commentaire :

"Note des gens que j’ai passés la Loire

de Rohars à Frossay pendant la Révolution de 93

Dans la 1ère Brigade, il se trouvait deux M. Prêtres, qui étaient caché dans une haie depuis plusieurs jours mourant de faim de soif et de peur, un deux dit à l’autre que la volonté de Dieu soit faite. Il faut parler à cet homme. J’entant une voix m’appeler. Je regarde vers la haie. J’appersois deux MM. Prêtres, celui qui m’avait appeler me dit brave homme, nous mourons ici de besoin et de peur, nous mettons nos jours entre vos mains. Soyez honnête homme.
Je leur dis mes braves MM. vous ne pouvez jamais mieux arriver, restés cachés dans cette haie car si nous étions vus ensemble nous serions perdus. Je vais aller vous chercher des vivres. Je revins donc leurs apporter des vivres, que je leur j’étais dans la haie, sans m’arrêter vu que j’étais surveillé par mes voisins, aussitôt que la nuit fut arrivée je les conduis-y chez moi, et les fis s’habillés en paysans.
Il y sont restés quatre jours avant que je puisse les passer la Loire. Ils me dirent qu’aussitôt qu’ils seraient à même de dire des messes qu’ils les diraient pour que les Bleus ne metasses jamais la main sur moi. Dieu a bien voulu écouter leurs prières car ils ne lont jamais mise non plus, pourtant je fus dénoncé par mes voisins au Général qui était à Savenay, pour passer à Frossay, disait ils tous les Brigands.
Il donna l’ordre de venir me prendre et de m’enmener à Savenay pour être fussiler, en disant, que cela donnerait l’exemple aux autres, mais Dieu ne voulu encore pas que je meur par la main de ces mauvais gens là, car arrivé à peu près à moitié chemin de Savenay chez moi, quelqu’un leur dit que si je les passaient que s’était plustôt pour débarasser le pays de tous ces canails qui pouvaient tous mètres à feu et à sang.
Ils s’en retournèrent donc à Savenay en disant Si c’est autrement on saura bien le prendre, aussi j’ai failli être pris plus de vingt fois par ceux qui gardaient la Loire avec des embarcations, ainsi que par les gardes côtes. Enfin, il faut croire que Dieu ma toujours pris sous sa protection, car voici à peu près le nombre des gens que j’ai passés, sans jamais être pris.

                Savoir
1ère Brigade - où étaient ces deux MM. Prêtres et quelques officiers dont je ne me remets pas leurs noms.
2ème Brigade - où était M. Allin, prêtre, et plusieurs MM. d’un grand rang, et une Dame qui avait suivie son mari.
3ème id. - où était le curé de St l’Ot, à qui j’ai retourné l’argentrie qu’il avait laissée chez moi, trois ans après, dont il me fit dîner avec lui pour toutes récompenses ; M. Bourdique capitaine faisant aussi partie de cette brigade et plusieurs autres MM. dont je ne me remets leurs noms.
4ème id. - où était les neuveux de M. le général de Charrette et de ses cousins, et des officiers supérieurs ma femme leur donna la moitié d’un pain de douze livres pour les nourrirs en route.
5ème id. - où se trouvait quatre MM. qui avaient été caché plusieurs jours chez moi et déguisés en paysant, l’un deux dit un jour à ma femme en lui donnant un petit coup sur l’épaule ma bonne-mère savez-vous à qui vous parlez. Elle lui répondit que non, et bien vous parlez au premier de la chambre du Roi, aussi ce M. ce servait d’un vers en or pour boire, les autres étaient aussi des gens de sa suite où des officiers supérieurs. Enfin voici a peu près le montant de chaque Brigade.

1ère Brigade environs 160 hommes.
2ème Brigade environs 180 hommes.
3ème Brigade environs 195 hommes.
4ème Brigade environs 175 hommes.
5ème Brigade environs 188 hommes.

                Total : 898 hommes

passés par 5, 10, 15, 20 etc : 360

                Totaux : 1258 minimum.

                J’ai tous passés ces gens là sans leurs avoir pris un sous, au contraire j’ai donné à boire et à manger à plusieurs et pour rien à tous ceux que j’ai été à même de le faire et sans intérêt, aussi je n’ai rien reçu pas plus du riche que du pauvre. M. le Général de Charrette me fit passer une lettre dans laquelle il me disait qu’il fallait passer ces gens que sur son l’honneur de Général de Charrette, j’en serait récompensé un jour, mais le bon M. fut tué quelques jours après ; il n’y a donc que Dieu qui pourra me récompenser de mon grand courage et de ma bonne action.

Rohard, le 20 janvier 1834

Jean Legland"
M. PEDRON BOUHOUR, Le passeur de Rohars in 2 Degrés Ouest, avril 1974, n° 60

Ce texte suscite bien des interrogations. D’abord, que veut dire Jean Legland par brigade ? Son embarcation pouvait transporter une vingtaine de personnes, tout au plus ; une brigade correspondait donc à bien des passages. Il est pourtant avéré que bien des Vendéens parvinrent à franchir la Loire dans les mois qui suivirent leur ultime défaite. Beaucoup même furent fusillés à leur arrivée en pays de Retz par les gens de Charette qui les prenaient pour des espions La méprise finit par être levée et, comme le dit Jean Legland, Charette s’intéressa aux rescapés. Ce fait est corroboré par le témoignage de Claude Bourdic, un jeune homme de la Violière en Bouée, un des chefs de l’insurrection de 1793 à Savenay qui rejoignit Bonchamps en juin et fit toute la Virée de galerne avec le grade de capitaine. C’est lui certainement que Jean Legland désigne par "M. Bourdique capitaine" dans sa troisième brigade.
L’état de service de Claude Bourdic, dressé sous la Restauration, porte :
"Après avoir été quelques tems errant et couru les plus grands dangers, il passa à l’armée du Général Charette ; à peine arrivé ce Général le renvoya outre Loire, pour rallier les débris de l’armée vendéenne défaite à Savenay. Il fut assez heureux pour faciliter à un grand nombre de Vendéens le retour dans leur pays. Au retour de cette mission dangereuse, étant obligé de passer la Loire au milieu des postes républicains, il resta attaché à l’état-major du Général Charette, fit toutes les campagnes de l’armée jusqu’au mois de janvier 1796 qu’il fut fait prisonnier".

Le personnage le plus célèbre sauvé par Jean Legland, qu’il désigne par "le curé de St l’Ot" dans la troisième brigade, est l’abbé Bernier, curé de Saint-Laud, paroisse d’Angers, un des membres les plus influents du conseil de l’armée royaliste. Il fut longtemps réfugié au Dréneuc, en Fégréac, et il ne semble pas que son passage de la Loire soit intervenu avant le printemps 1794.

Ce qui paraît le plus extravagant dans le témoignage de Jean Legland, c’est son arrestation suivie de sa libération sur le chemin de Savenay. D’après une tradition familiale, ses gardes auraient été sollicités par une autre mission et l’auraient relâché.

Jean Legland
Fils de Guillaume Legland et d’Anne Chevalier, né le 5 août 1762 à Rohars. Il y est mort le 8 juillet 1848. Il épousa Elisabeth-Françoise Berranger, du village de la Babinais, le 10 mai 1791.

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Rohars et la troupe

Au printemps 1794, Rohars avait un contingent de troupe. Celle-ci manquait de bois pour se chauffer. Le 14 prairial, le directoire demandait à la municipalité de Bouée de lui en fournir en le prenant au  Châtelier dont le propriétaire, ci-devant premier président du Parlement de Bretagne, était émigré :
"Le commandant du bataillon dont un détachement est actuellement dans votre commune est venu nous faire sa pétition pour que vous fassiez fournir à cette troupe le bois qui lui est nécessaire.
Cette demande est juste ; mais comme vous ne pourriez y satisfaire qu’en prélevant sur l’habitant la quantité qui lui est due et qu’elle causeroit une gêne préjudiciable, nous vous autorisons par la présente à en prendre dans le bois du Châtelier une corde que vous leur ferez conduire à Rohard. Vous employerez à cette fin les ouvriers convenables à l’exploitation, au fur et à mesure de leurs besoins. Il y a dans ce bois un certain nombre d’arbres qui ont été coupés que vous pourrez faire réduire en cordes (...) une corde suffira pour trente jours puisque le détachement n’est composé que de trente hommes".

Lorsque l’on dut dégarnir le poste de Rohars, le petit port attira les trafiquants, qui venait y enlever les grains achetés dans le pays, au détriment des marchés réguliers ; le directoire du district de Savenay s’en plaignit le 20 septembre 1794 au général Lambert :
"Nous venons d’être instruits que tandis que le poste de Rohard a été occupé par la troupe, l’accaparement des grains ne se faisait pas d’une manière ostensible. Depuis que ce poste est évacué, l’on nous assure que cette fraude reprend son cours et nous nous empressons de t’en prévenir ; tu sens combien il est important d’y mettre des bornes".

C’est le défaut de troupes qui avait obligé le général à retirer le détachement de Rohars :
"J’avois jugé comme vous, citoyens, le poste de Rohard d’une telle importance, relativement à l’enlèvement des grains, que j’y avois envoyé vingt-cinq hommes de la peu nombreuse garnison de Savenay. Mais ayant reçu l’ordre du général Boucret de faire partir les canonniers de la même garnison pour le Croizic, je me suis trouvé par là dans la nécessité de faire revenir le poste de Rohard pour le service de Savenay et du Moire et la réunion des troupes ne forme encore qu’un total de cinquante-cinq fusiliers".

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Les réquisitions

Les populations rurales étaient excédées de réquisitions de toutes sortes à cette époque, pour alimenter les villes et les armées.
En septembre 1794, les paysans furent contraints de participer au charroi de bois de construction pour la marine
depuis la forêt du Gâvre jusqu’aux ports de Lavau et de Rohars.
"Toutes les bonnes et fortes voitures attelées de deux bons bœufs" de la commune de Bouée devaient se rendre le 17 fructidor à la forêt du Gâvre.
Le 23 fructidor*, le directoire pouvait rendre compte à un ingénieur chargé de l’opération de la bonne coopération de la population :
"Les habitans des communes se sont disputé le triomphe de se rendre utile à la République et déjà une grande quantité de bois est rendue sur les bords de la Loire (...) il ne manque rien à la satisfaction que nous cause le zèle et l’activité de nos laboureurs". Ceux-ci n’étaient toutefois pas payés.
*9 septembre 94 (NDLR)

Et rapidement, l’enthousiasme s’amenuisa tandis que les conditions d’accès à Rohars devenaient franchement mauvaises. Les administrateurs du district durent expliquer le 27 vendémiaire* à l’ingénieur en chef de la marine à Nantes que d’autres travaux retenaient les laboureurs et que le chemin d’accès au port de Rohars n’était pas aussi facilement viabilisable qu’on le lui avait indiqué
*18 octobre (NDLR)

Sur les bords de la Loire, on sème les froments et il faut profiter de la saison qui n’est qu’une dans l’année, quels reproches n’auraient pas à nous faire ces bons cultivateurs si la récolte manquait faute d’avoir semé à temps. (...) Quant aux trois étiers dont tu nous parle dans le chemin de Rohard, le citoyen Ferraud qui ne connaît pas les localités a dit assez légèrement qu’ils étaient faciles à boucher, c’est une entreprise absolument impraticable surtout dans ce moment, depuis dix jours la marée a couvert plus d’un demi-quart de lieue de terrain.
Il y a par endroits plus de cinq pieds d’eau et si la marée de la nouvelle lune donne encore comme il y a apparence, l’eau ne se retirera pas de tout l’hiver, ainsi tu vois que ce n’est plus trois étiers simplement à boucher mais ce serait une chaussée de plus d’un demi-quart de lieue* de long, de quatre et cinq pieds* de hauteur par endroit
".
* lieue terrestre environ 4,4 km et pied environ 32 cm, la route était donc recouverte par 1,20 m à 1,50 m d'eau sur environ 0,55 km (NDLR)

S’il est vrai que le chemin de Rohars était submersible, il y a quand même quelque exagération à dénombrer trois étiers entre la Bouquinais et le petit port.

Au cours de l’hiver 1794-1795, Rohars fut encore un lieu d’embarquement de grains pour les habitants de Nantes. La municipalité de la ville avait envoyé deux de ses membres en qualité de commissaires pour accélérer le mouvement : le tapissier Guillé et le musicien Clary. Arrivés à Savenay le 6 brumaire, ils éprouvèrent bien des difficultés. L’un d’eux se plaignit au district de l’attitude du maire de Bouée, dans une lettre écrite au soir du 27 brumaire :

"Citoïens, j’étais convenu avec le maire de Boué de me rendre à Rouard pour y recevoir le contingent de cette commune, je m’y rendis le 25, mais le 26 ne voyant venir personne pour me livrer les grains déjà rendus, je suis parti sur le champ pour aller à Boué. Mais il avait changé de sentiment, car après un recensement fait en frauduleux de plus de moitié à ce que plusieurs habitans de Boué disent eux-mêmes, ils commençaient à prendre ce qu’il leur faut pour arriver à la récolte prochaine et pour leurs semences et ils ont trouvé un excédent de six quintaux qu’ils m’ont dit qu’on met. Je leur ai répondu qu’un homme qui donne ce qu’il n’avoit pas besoin ne faisait pas un grand effort. Après avoir fait valoir leurs raisons et moi les miennes, l’on arresta cependant que l’on me livreroit seulement la moitié de ce qu’il y avoit à Rouard jusqu’à ce que vous en ayez décidé autrement. Vous voyez citoïens administrateurs que cette commune me fait éprouver des grands frais et que je serai obligé de faire redescendre la gabare que j’avais fait monter".

Les Nantais réussirent cependant à recueillir 118 quintaux de froment à Bouée les 27 et 28 brumaire*. Le maire avait commandé six hommes pour peser et empocher les grains, les mener en charrette à Rohars, les charger dans une barge puis les transborder dans la gabare. Des militaires participèrent à la manutention.
*17 et 18 novembre 1794 (NDLR)

L’hiver fut très froid et en février 1795, l’un des envoyés de la ville de Nantes était bloqué par les glaces à Lavau ; il exprimait toutefois sa satisfaction d’avoir pu arracher des grains au bourgeois de la Bouquinais Pichot, patriote mais soucieux de ses intérêts :

"Je viens de faire fournir au citoyen Pichot de la Mabilais dix beaux quintaux de superbe froment qu’il devoit pour son contingent et qu’il croyoit bien ne pas fournir, lesquels sont déposés chez le citoyen Sébastien Loris (Allory) à Rohard et que je ferai prendre à la première occasion".

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Les menées contre-révolutionnaires

A la même époque, les menées des contre-révolutionnaires inquiétaient beaucoup les partisans de la République. Deux petits navires qui stationnaient face à Rohars éveillèrent les soupçons des patriotes. Des Chouans s’introduisirent de nuit dans quelques maisons de Bouée, s’y emparèrent des armes et y prirent des comestibles. L’administration du district de Savenay envoya deux gendarmes et quatre guides à Bouée, avec mission "de visiter toutes les demeures et embarcations des habitans de Rohard et de s’assurer tous les étrangers qui leur paraîtront suspects et dépourvus de bons passeports et de les conduire à Savenai".

Le 8 floréal, les administrateurs écrivaient au général Avril :
"Nous sommes instruits, citoyen général, que Bouée qui est à une lieue de Savenay sert de repaire à plusieurs Chouans et que le petit port de Rohard situé en cette commune facilite une communication continuelle entre la rive droite et la rive gauche de la Loire ; on nous a même assurés que des émigrés s’y sont présentés. Nous croyons, citoyen général, qu’il seroit essentiel d’y placer un petit cantonnement de 25 à 30 hommes. Il peut y être logé commodément et faire de fréquentes patrouilles dans le port de Rohard".

Les habitants du pays de Retz, dévasté par la guerre, venaient s’approvisionner dans le district de Savenay. Le procureur général syndic du département alerta le général en chef de l’armée de l’Ouest, Canclaux, et le représentant en mission à Nantes, le 12 thermidor :
"Le district de Savenai est celui du département qui récolte le plus de grains et qui alimente le plus la commune de Nantes. Ce n’est guère que là que les citoyens de cette commune trouvent encore quelques ressources en ce moment. Il y a environ quatres décades que l’administration de ce district se plaignit au département que les grains que l’on apportait à ses marchés étaient en très grande partie achetés par les Vendéens ou pour leur compte, lesquels Vendéens les payaient toujours en argent et à des prix supérieurs à ce qu’en offraient les autres citoyens.

L’administration ne crut pas qu’il fut possible alors de prendre un parti sur cette affaire, elle en référa cependant au représentant du peuple qui n’y a pas donné de suite. Depuis ce temps, je suis informé par des rapports multipliés que les Vendéens, surtout ceux des communes insurgées, passent journellement la rivière pour aller s’approvisionner dans le même district de toutes les denrées nécessaires à la vie, qu’ils y achètent considérablement du grain et même du pain ; qu’il paroît que leur objet est autant de nous priver de nos ressources que de s’alimenter eux-mêmes. Il me semble nécessaire et urgent de profiter de cet avis et empêcher nos ennemis de nous enlever le peu d’aliments que nous récoltons dans notre territoire. Le moyen consiste à placer une barque canonnière à l’entrée du port dit de Rohard dans la commune de Boué, c’est là où se font presque tous les embarquements de grains et les bateaux armés placés au-dessus et au-dessous de cet endroit ne peuvent en avoir connoissance, il seroit peut-être aussi convenable d’en placer un du côté de Donges (...) comme les habitants du Bourg de Donges sont patriotes, peut-être ce dernier bateau ne seroit-il pas très nécessaire.

                Quoiqu’il en soit, à la mesure proposée pour Rohard, il conviendroit d’ajouter une recommandation expresse de la part du représentant du peuple au district de Savenay de faire surveiller par les municipalités des communes situées sur la côte les personnes qui viennent acheter du grain dans leur territoire et d’empêcher ces achats et l’embarquement des grains toutes les fois que les acheteurs ne représenteroient pas un certificat de l’administration de leur district constatant qu’ils ne sont pas domiciliés d’une commune insurgée".

Deux jours plus tard, le représentant du peuple Bodin prit un arrêté, plus modéré toutefois que les souhaits des patriotes : les habitants des communes insurgées devaient se munir d’un certificat de leur municipalité attestant qu’ils n’avaient pris aucune part aux nouvelles hostilités pour pouvoir acheter des grains dans le district de Savenay. Il recommandait aussi au commandant des chaloupes armées stationnées sur la Loire la plus active surveillance des communications d’une rive à l’autre.

Le 27 thermidor enfin, après d’autres démarches encore, la flûte "Le Surveillant" vint stationner à Rohars. Cela n’empêcha pas les Vendéens de revenir à Savenay le 30 pour faire leurs emplettes. Un marchand de vin de Nantes s’en plaignit au comité de surveillance de sa ville ; il déclara que "le 30 thermidor se trouvant à une foire qui eut lieu à Savenay, on luy fit voir des particuliers qui achetaient des grains qu’on disait être destinés pour Charette ; et qu’on luy rapporta que les mesmes acheteurs venoient pour la mesme commission au dit lieu tous les jours de marché et foire, depuis la pacification de la Vendée, qu’ils en achètent chaque fois habituellement dix à douze tonneaux ; que l’on présume que pour se soustraire aux bateaux stationnaires, ils entrent dans la Vendée par l’étier du Cic (Syl) entre Lavaux et Roars, ou par celuy qui est entre Donge et Lavaux".
Aussi, se résolut-on à placer des bateaux armés à l’embouchure de ces étiers ; ils furent placés à la mi-fructidor, mais le responsable déplora ne disposer que de bâtiments chargés de bois de construction.

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Bernard DAVID